THORA ET DEMOCRATIE

Publié le par Initiative Rabbinique

 

 Thora et Démocratie     (adapt. Yerouchalmi ® du Grand Rabbin Ouaknine et du Juge Kohn)  yerouchalmi@club.fr

La révélation de D. ieu aux enfants d'Israël sur le mont Sinaï a changé le cours de l'Histoire, Ex (19, 17) "Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu depuis le camp, et ils se sont tenus dans le bas de la montagne". Rav Avdimi bar 'Hama (Talmud Chab. 88a), explique ‘dans le bas de la montagne’: «D. ieu a arraché la montagne de son emplacement et Il l'a renversée sur les enfants d’Israël comme une coupole, en leur disant : ‘Si vous  acceptez la Thora, ce sera bien ; et sinon là seront vos tombes !’».

   Cet enseignement semble affirmer l'autorité absolue de la Thora qui écarterait alors les autres sources juridiques. Il poserait alors un problème de compatibilité entre Thora et démocratie, dans la mesure où celle-ci se définit comme un régime politique dans lequel le peuple élit ses représentants qui légifèrent en son nom.

 

Est- il envisageable d’introduire une dose de démocratie dans l'observance de la Thora ? La démocratie, dans son essence, représente le gouvernement par la majorité. Or, une majorité est, de par sa nature, éphémère. La loi de la ‘majorité’ est un principe fondamental de la Torah, mais comme toute loi, nécessite des décrets d’application.

   Ainsi Rabbi Yehoshua ben Korha explique-t-il dans le Talmud que les juifs ne suivent pas la ‘majorité’ des païens parce que dans un monde sans véritable majorité et divisé en un grand nombre de cultes ou de croyances, il est difficile d’adhérer à une quelconque ‘majorité’. Abraham, investi de sa mission, a dû affronter le monde extérieur dans l'isolement. De même, l’Eternel se choisissant un peuple comme "nation de prêtres", confie-t-il à une ‘minorité’ le soin de garder Sa Torah. D’après la Tradition, c’est sur cette minorité que repose l’avenir de l’humanité et le salut du monde, à force d’obstination et d’héroïsme de sa part, et par sa résistance constante à la pression du grand nombre, pour préserver son identité.

 

   La loi de la majorité, pas si clairement définie, est déduite d'une formulation négative : "Ne suis pas une majorité pour le mal et ne te prononces pas en suivant une majorité partiale" (Ex. 23, 2). Il faut donc suivre la majorité lorsqu’il s’agit du bien, mais pas si elle remet en question les principes de la Torah.

Telle a toujours été l'attitude du peuple juif face aux autres nations ou à ses "détracteurs" juifs.

   Cette question de la loi de la ‘majorité’ est d'actualité du fait que les juifs n'ont pas tous la même conception de la vie juive : au nom de la majorité, doit-on accepter certains remaniements de la Thora et réprimer les agissements d'une minorité d’orthodoxes ? Rachi, profitant de l'écriture inhabituelle du mot RiV ‘litige’ le lit RaV, ‘maître’, et traduit alors « tu ne te prononceras pas contre le plus grand » par « tu ne donneras un avis contraire au Maître du Tribunal ». Rachi, souligne ainsi que l'édifice du judaïsme fondé sur l’autorité du maître, représente en quelque sorte l'autorité divine.

 

   Un grand nombre de nos Sages, dont le Rav Kook est loin d’être le seul, sont néanmoins d’avis que l'obligation d'observer la Thora, peut s'appliquer également dans un État qui ne la respecterait pas. Et donc qu'elle peut très bien cohabiter avec une volonté démocratique. Aussi bien, un État juif démocratique, s'il n'impose pas à ses citoyens d'observer la Thora, mais s’il ne gêne pas cette observance, ne porte pas atteinte à la validité de cette allégeance religieuse, indépendamment de toute allégeance politique.

 

Il existe au moins trois domaines où la Thora réserve une place légitime à la démocratie :

- 1) La Mitsva de nommer un roi dépend, selon le Netziv, de la volonté du peuple, à qui on ne peut pas imposer un gouvernement, y compris contre la volonté du Sanhédrin (Ha'emeq Davar, Dev. 17, 14).

De cette intrusion de la volonté du peuple dans l'application de la Thora, nos Maîtres comme le Rav Kook (Michp. Kohen 144) déduisent qu’à notre époque où il n'y a pas de roi en Israël c'est cette volonté démocratique qui est la source, y compris selon la Thora, de toute autorité gouvernementale.

- 2) Il n'est pas permis d'imposer à la communauté une nouvelle restriction supplémentaire (par rapport aux exigences connues et non indispensable pour la Loi juive), si sa majorité n'est pas disposée à la respecter.

- 3) Hormis les domaines interdits explicitement par la Loi juive, "la loi de l'État fait loi" (‘dina démalkhouté dina’). Ce principe introduit seulement dans les cas complexes juridiques ou dans ceux qui ne contredisent pas la Loi juive, des données a priori étrangères : par exemple, les juifs acceptent de ne pas célébrer un mariage religieux avant le mariage civil à la Mairie, selon la Loi Civile qui ne contredit ici pas la Loi juive.

 

   A chaque époque, des idées se font jour sur la manière de pratiquer le judaïsme. Si une majorité libérale juive se dégageait s'agirait-il d’un judaïsme authentique ? Selon la Torah, le peuple ne définit pas la doctrine, même avec un consensus majoritaire. La ‘démocratie’ à qui elle laisse toute sa place, notamment jusqu’à légitimer les gouvernements élus en Israël et leurs lois, exclut les questions de doctrine sur lesquelles seules des autorités religieuses fidèles à la Tradition peuvent se prononcer, car la Thora est immuable ; pour le Juif, qui l’a maintenue au fil de l’histoire, malgré ses vicissitudes, et c’est une question de fond.

 

 

Publié dans LA TORA AUJOURD'HUI

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