Paracha de NOAH

Publié le par Initiative Rabbinique

Notre paracha débute en soulignant les vertus de Noé, un homme (ish) juste (tsadik) et intègre (tamim). Pour la tradition, le verset ne révèle pas deux, mais trois vertus, que nous allons mettre en lumière.

 

Être un homme :

Nous pourrions penser que les deux vertus mentionnées sont justice et intégrité, mais sous un certain angle nous pouvons considérer que le terme « homme » (ish) représente une qualité en soi, une vertu. 

En hébreu biblique, le terme ish désigne le pouvoir, la capacité de dominer, mais au plan moral, cela signifie la capacité de se maîtriser.

Dans les Pirkey Avoth (II, 5) Raban Gamliel enseigne : « Là où il n'y a point d'homme, efforce-toi d'être un homme. »

Pour montrer la valeur de cette puissance, citons quelques exemples :

·     Dieu est, Lui-même, surnommé « homme de guerre » (Exode / Shémoth XV, 3), à entendre dans le sens de « maître de la guerre».

·     De même, ce personnage mystérieux qui combat contre Jacob toute la nuit est-il désigné par ish, un homme ou un ange qui possède un pouvoir d'action (Genèse / Béréshith XXXII, 25).

·     Enfin Moïse est appelé « homme de Dieu » ish haElohim (Deutéronome / Dévarim XXXII, 1) que l'on peut entendre celui qui reçoit son pouvoir de Dieu

Sur cette expression, écoutons ce commentaire du kabbaliste, Rabbi Yossef Haïm de Bagdad (fin du XIXe siècle). Il fait remarquer que Moïse est appelé tantôt  Ish haElohim = « homme de Elohim » (l'un des noms pour désigner Dieu) et tantôt Eved Hashem = « Serviteur de YHWH » (Deutéronome / Dévarim XXXIV, 5). Selon la Kabbale, Elohim désigne Dieu dans son attribut de rigueur, de justice, d'ailleurs Elohim désigne parfois les juges dans la Torah (Exode / Shémoth XXII, 8). YHWH (le tétragramme) désigne Dieu dans son attribut de charité, d'amour. Voici donc son commentaire : Quand Dieu exprime son amour vis-à-vis d’Israël, alors Moïse est serviteur de ce Dieu d'amour. Mais quand Dieu révèle sa colère (comme dans l'épisode du veau d'or), alors Moïse devient Ish haElohim, « homme de Dieu », à entendre comme celui qui use de son pouvoir pour s'opposer à la rigueur divine, et la transformer en pardon (après la faute du veau d'or notamment).

En posant Noé, en ish tsadik, homme juste, le verset souligne que notre héros sut exercer son pouvoir sur lui-même pour ne pas imiter les conduites violentes et iniques de ses contemporains.

Résister à la pensée ambiante, aux modes, quand elles remettent en cause l'éthique monothéiste relève d'une grande force d'âme.

 

Homme de justice, homme de justesse :

On ne peut être juste que par rapport à une loi. Juste dix grammes, cela signifie de se conformer au poids (la loi) énoncé de façon précise. Noé est juste car il connaît la loi de Dieu, et il l'applique dans son existence. Ce n'est pas parce qu'il a reçu la grâce divine, qu'il se considère au-dessus de la loi, bien au contraire, la grâce oblige à s'ajuster à la bénédiction offerte. 

Quelle est le contenu de cette loi divine, puisque nous sommes avant le don de la Torah. La Tradition parle d'une loi universelle,  qui remonte à Adam et qui passe par les grands justes des générations jusqu'à Abraham. Elle parle même de la yéshiva de Shem et Ever où les patriarches étudièrent[1]. Cette loi trouve son origine dans l'impératif posé à Adam : « De tous les arbres du jardin tu mangeras, mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas. » La loi se résume à la limitation de son appétit d'être. Pas d'annihilation de son instinct de vie, mais sa gestion pour laisser une place à l'instinct de vie de l'autre. Cette loi peut permettre de sortir de la violence inhérente à la rencontre des vivants. Noé connaît cette loi, il l’applique dans son existence, alors que les hommes de sa génération agissent dans l’excès.

 

Intègre, pas intégriste :

Derrière qualité tamim, traduit par « intègre », dans le sens de sans défaut.[2] Pour Abraham ibn Ezra, tamim est la forme complète de tam, et non son pluriel[3]. Ce terme tamim sera utilisé plus tard lorsque le verset dira : « Tu seras intègre avec l’Eternel ton Dieu » (Deutéronome / Dévarim XVIII, 13). Dans le contexte du Deutéronome, cela signifie de ne pas consulter les magiciens, les augures et les cartomanciennes.

Nous nous permettrons d’ajouter que l’intégrité signifie autant de respecter son entièreté (sa probité) que celle des autres. Dans un temps où les attentats au nom de Dieu (mais en vérité au nom de la haine) font littéralement éclater les corps des victimes, nous pouvons avancer que l’intégrité n’est pas l’intégrisme. Noé est non seulement un homme qui assume son présent, face à Dieu, sans chercher à deviner l’avenir, puisque l’avenir dépend des choix présents, mais qui respecte la totalité des êtres face à lui.

 

Comment faire l’éloge du prochain :

Terminons par cet enseignement du Talmud à méditer ce Shabbath :

 

« Il est ici que Noé était un homme juste et intègre, mais plus loin [lorsque Dieu s’adresse à Noé pour lui demander de construire l’arche] il est dit : Car Je t’ai vu juste devant moi [Dieu ne mentionne pas la vertu d’intégrité]. Rabbi Yirmiya ben Eléazar enseigne : cela t’apprend que l’on dit la moitié de l’éloge de quelqu’un en sa présence, et tout son éloge en son absence. » (Talmud Erouvin 18 b).

 

Le commentaire Torah Témima explique que si l’on dit tout le bien de quelqu’un en sa présence, cela peut être pris pour de l’hypocrisie. Et bien que cet argument ne sied pas à Dieu, il nous faut retenir que tout ce qui est dit sur Dieu ne sert que de modèle pour la conduite des hommes.

P.HADDAD

 

 



[1] Cette idée est intéressante, elle souligne qu'en complément de la loi du Sinaï, les hommes peuvent accéder à la morale monothéiste par d'autres voies.

[2] De même que l’on parle d’une bête sans défaut pour le sacrifice.

[3] Pour les hébraïsants, le pluriel de tam ou tamim est témimim.

Publié dans PARACHA DE LA SEMAINE

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